Artikel Le Temps

Des dirigeants s’expriment sur la santé mentale au travail pour briser un tabou

Une campagne vidéo donne la parole à des directrices et directeurs d’entreprise pour mettre en avant l’épuisement grandissant au sein des entreprises suisses et le coût qu’il représente


Résumé en 20 secondes

  • Onze directeurs et directrices généraux d’entreprises s’affichent dans une campagne vidéo sur la santé mentale
  • Les statistiques des burn-out et congés maladie pour des raisons psychiques sont impressionnantes
  • Les dirigeants se doivent d’être des rôles modèles et de briser le tabou, estime la chasseuse de tête Claire Garwacki, l’une des réalisatrices du projet

«Je me bats moi-même depuis des années, même maintenant comme directeur général, pour arrêter de me sentir coupable quand je quitte le bureau à 16h». «Il n’existe pas de ligne dans le compte de résultat qui comptabilise les arrêts maladie». Ou encore: «Les gens ne parlent pas de leur problème de santé mentale parce qu’ils ont peur de perdre leur travail.»

Ces phrases, ce sont onze directeurs et directrices généraux qui les ont prononcées, parmi lesquels Marc Werner, directeur général du Groupe Galenica, Denis Machuel, directeur général du Groupe Adecco, Florian Saur, directeur général d’AstraZeneca Suisse ou encore Patricia Mattle, directrice générale d’ElipsLife, compagnie d’assurances. Ils répondent et réagissent ainsi «sans préparation» à des questions, statistiques et «anecdotes» liées à la santé mentale, dans une vidéo intitulée «Le coût du silence», diffusée lundi.

Cette campagne est réalisée par Claire Garwacki, fondatrice du cabinet de recrutement Bellevue Executive Search, et Nathalie Agosti, fondatrice d’Outlive Advisory, cabinet de conseil spécialisé en communication stratégique et durabilité. Un duo dont une précédente campagne vidéo avait fait du bruit l’an dernier: des directeurs suisses y répondaient face caméra à des questions sexistes qui sont régulièrement posées aux femmes dans les entreprises. Un concept «décalé» venu de France.

«Des candidats pleurent en entretien»

Parler de santé mentale, un outil de communication pour les onze dirigeants? «Ceux qui ont accepté étaient sincères, la plupart des directeurs contactés ont refusé, estimant que ce n’était pas un sujet», répond Claire Garwacki. La chasseuse de têtes le souligne pourtant: «Je le vois tous les jours dans le recrutement: des candidats arrêtent le processus pour cause de burn-out, craquent et pleurent en entretien… Nous avions envie de faire connaître ce problème à un maximum de personnes. Y compris parce que des employés en bonne santé représentent aussi un levier économique trop souvent ignoré.» Et de préciser qu’Axa estime que les problèmes de santé liés au travail représentent pour la Suisse une perte annuelle de 17,3 milliards de francs au niveau du PIB, selon des chiffres publiés en 2024.

Le stress lié au travail, lui, coûte environ 6,5 milliards de francs aux entreprises, selon le dernier Job Stress Index (2022) de Promotion Santé suisse. Selon les statistiques d’Axa, 17% de la population active était en congé maladie pour des problèmes psychiques, 7% ont vécu un burn-out, reprend Claire Garwacki. «Reporté à la population active en Suisse et converti en minutes, une personne est mise en congé maladie toutes les 35 secondes en Suisse pour des raisons de santé mentale, et toutes les 90 secondes, une personne subit un burn-out. Nous voulons que nos clients et nos candidats connaissent cette réalité, qui concerne aussi les hauts cadres, souvent épuisés: qu’est-ce que cela nous dit de leur capacité à prendre des décisions?» Les dirigeants se doivent d’être des rôles modèles et de briser le tabou, estime la chasseuse de têtes.

Du présentéisme par honte, aussi

C’est aussi ce que pense Muriel Langenberger, directrice générale de la fondation suisse Pro Mente Sana, organisation nationale pour la santé mentale et psychique, qui apparaît dans la vidéo et accompagne le projet en tant qu’association spécialisée. «C’est une invitation à oser en parler qui passe par le leadership. Il faut pouvoir mettre cette thématique à l’agenda, avoir une culture d’entreprise ouverte sur ces questions. Les employeurs ont un devoir de protection des employés, de leur santé physique mais aussi mentale.»

Pro Mente Sana donne notamment des cours pour les entreprises, avec pour but d’apprendre à repérer un changement de comportement qui se doit être un signal d’alarme, lorsqu’un collègue se montre irritable, fatiguée, s’isole… «On parle des coûts de l’absentéisme, mais souvent les personnes qui ont un problème de santé mentale continuent de venir parce qu’elles ont honte, alors qu’elles ne sont plus du tout en état de travailler», souligne Muriel Langenberger.

Les raisons de souffrir d’un «trop-plein» sont aujourd’hui nombreuses, poursuit Muriel Langenberger, listant «le rythme de travail qui s’accélère, le flux d’information incessant», et par ailleurs les multicrises, «telles que les guerres et le changement climatique, qui affectent certaines personnes plus que d’autres». Et de citer qu’en 2023, les maladies psychiques représentaient un peu plus de la moitié des cas d’invalidité (53%). Un chiffre en constante augmentation.

Julie Eigenmann